immobile (abby)

(01) Abby est le premier enfant de la famille Chakir, elle est arrivée quelques minutes avant son frère jumeau et ne manque jamais de lui rappeler. Après eux, cinq autres enfants sont venus agrandir la famille. Le tout en dix ans. (02) Les Chakir ne sont pas riches et ce n’est pas toujours facile de vivre ainsi en Inde. Le père de famille fait de son mieux pour rapporter le maximum à sa femme et à ses enfants. Il se prend même à rêver de partir. Dans le plus grand des secrets, il cherche un moyen pour quitter le pays et aller dans un endroit où leur vie sera meilleure. (03) Après des années de recherches et d’argent mis de côté, les Chakir quittent l’Inde pour les États-Unis. Ils emménagent au début chez un cousin, qui leur apprend la vie ici. Ils se trouvent ensuite une maison, grande, mais pas tant que ça quand on sait qu’ils sont neuf à y vivre. Abby est alors âgée de seize ans. (04) Au lycée, elle a mis les cours de côté, préférant grandement courir. La course à pieds, c’est son truc. Elle faisait partie de l’équipe d’athlétisme et aurait pu avoir une bourse scolaire. Mais il n’a jamais été question pour elle de poursuivre ses études à l’université. (05) Depuis son arrivée à Miami, Abby n’est jamais retourné en Inde, mais ce n’est pas l’envie qui lui manque. Elle aimerait parfois retourner à ses origines. (06) Elle a su très jeune qu’elle voulait être pompier. C’était comme une évidence pour elle. À Bombay déjà, puis à Miami. Alors une fois le lycée terminé, elle a commencé sa formation. Elle n’a jamais autant révisé pour un test et elle l’a réussi avec brio. Le reste n’a été qu’une formalité, surtout l’examen d’aptitude physique. Elle avait tout donné pour réaliser son rêve. (07) Elle a longtemps vécu avec ses parents, alors c’est tout de suite plus compliqué pour avoir une relation. Elle savait que si elle ramenait quelqu’un, les Chakir, parents comme enfants, allaient se faire plaisir à mettre mal à l’aise Abby. Néanmoins, elle a toujours su qu’elle pourrait ramener n’importe qui, il n’y aurait jamais de soucis. (08) Abby a bien cru qu’elle allait se marier, elle avait tout pour que ça marche. Un petit ami parfait, qui l’aimait, qui savait lui faire plaisir et avec qui elle avait eu un petit garçon. La date était fixée, mais un événement tragique a fait que tout cela a pris fin en un fragment de secondes. (09) Elle a perdu son fils et son petit-ami dans un incendie, il y a six ans. Déjà sur un autre incendie, ce n’est pas la station où elle travaillait qui a été appelée. Situés plus loin, les secours ont mis beaucoup plus de temps à arriver et une fois sur place, il était trop tard, impossible de rentrer dans la maison sans prendre le risque de ne pas en ressortir vivants. Quand elle a su, Abby s’est ruée chez elle. Elle a été obligée de se rendre à l’évidence : elle ne pouvait plus rien faire. (10) Depuis ce jour-là, la jeune femme a peur du feu. Ce n’est que psychologique, elle le sait. Ça reviendra peut-être un jour. Malheureusement, cette peur a forcé Abby a quitter son boulot. (11) Ne pouvant pas se retrouver derrière un bureau, elle a pris la décision de rester dans le monde du feu, mais cette fois-ci en tant qu’ambulancière. Elle s’est retirée de la caserne pendant plusieurs années, afin de faire sa formation. Il lui a fallu du temps, plus que pour devenir pompier. Elle a mis du temps à se mettre dedans, à cause de ce qui lui était arrivé. (12) Afin de pouvoir vivre en parallèle de cette formation, Abby a travaillé dans une supérette. Elle n’en était pourtant pas obligée. Son petit ami et elle, avant l’incendie, avaient préparé les papiers pour le mariage, ainsi que leurs testaments, au cas où. Il lui léguait tout, à elle et à leur fils, alors si elle le voulait, elle aurait suffisamment de sous pour subvenir à ses besoins sans travailler. Mais elle refuse de toucher à cet argent. (13) Abby n’a jamais retrouvé quelqu’un. Il faut dire qu’elle n’a pas vraiment cherché. Néanmoins, elle n’est pas devenue associable. Elle a juste décidé de ne pas s’attacher, de peur de souffrir à nouveau. Si jamais elle sent que cela arrive, alors elle prend la fuite. (14) Après cinq ans loin d’une caserne, c’est aujourd’hui le moment pour elle de revenir. Nouveau métier, nouvelle caserne et c’est peut-être mieux ainsi. Elle n’a pas de souvenir ici et cela va lui permettre de rester concentrée sur son travail. (15) Tous les jours, elle court. Sans ça, elle ne se sentirait pas bien. C’est pour elle le moyen de se libérer, de relâcher la pression qu’elle peut se mettre ou subir.