the way you got me | lorenzo

Jimmy,

Je sais pas vraiment par où commencer. J’ai du mal à me dire que t’es plus là. Les journées et les nuits s‘étirent sans s’arrêter, j’ai l’impression d’être seul partout. Ici, c’est toujours pareil, rien de nouveau sous le soleil de plomb. Ce connard de Clint ferme toujours pas sa gueule, la bouffe est toujours bonne, la plupart du temps, c’est toujours plein de sable jusque dans nos godasses. On rentre toujours à pas d’heure, on joue aux cartes sur les lits de camp. Je pense que le plus compliqué dans tout ça c’est que j’ai rien à retrouver après. Les missions, la poussière, le sang, c’est toute ma vie. C’est ma passion, tu le sais. Mais je sais déjà qu’à la fin de chaque chose, je vais pas te voir le soir et qu’on partagera pas une clope sous la nuit. Je sais que j’ai merdé, j’en suis conscient mais ça change pas le fait que je suis certain d’avoir fait le bon choix. Parce qu’au final, tout ce qui se passe maintenant, ça me donne raison. Au final, tu t’es quand même barré ( et par là, je t’accuses de rien, t’as toujours été très clair là-dessus) et je suis quand même tout seul comme un con. J’espère que tu vas bien et que tu ne regrettes pas ton choix d’avoir quitté l’armée. Et moi. J’ai été promu colonel, donc je vais de moins en moins sur le terrain, ça me laisse un peu plus de temps pour penser, alors ne m’en veut pas pour cette lettre qui vient de nulle part. J’ai juste envie de coucher ce que je ressens sur papier. Je sais, tu vas me traiter de fillette, mais tant pis. Et en dépit de tout ce que j’ai pu dire ou de ce que j’ai pu faire… tu me manques beaucoup.


Lorenz.


*

Six ans qu’il connait Jimmy, quatre qu’il a rencontré Thaïs. Il se dit que ça suffit, que tout va pour le mieux. Qu'il a bien fait d'arrêter tout ça pour elle, parce qu'il l'aime vraiment. Qu’aujourd’hui, il vit avec elle et que tout se passe à merveille. La chaleur lui vrille la tête et les sens quand il décide d’écrire l’adresse de JJ sur l’enveloppe. Merde, ça ne devrait pas être aussi compliqué. Mais, il a besoin de réellement expier. La clope aux lèvres, il fixe l’horizon, les coudes reposant sur ses genoux en treillis. La vue est belle mais pas partagée, ça lui arrache la gueule de l’admettre. Il a pourtant tout vu, tout accompli. Cette vie il l’a choisi alors qu’il n’y a jamais été prédisposé. Allez dire ça au grand patriarche De Luca dans son immense villa dorée en Italie, il vous dira que si. Tout est une question de destin. Et que d’une façon ou d’une autre, on peut pas y échapper.

*

Thaïs,

Je meurs de chaud le jour et gèle, pétrifié la nuit. Heureusement je pense à toi, du moins surtout à tes fesses, et ça me mets un peu plus de baume au coeur. Et je pense qu'elles sont les plus belles du pays. Assurément. Plus sérieusement, je suis désolé de pas être assez souvent là. Je suppose que tu savais pas pour quoi tu signais quand t'as décidé de te coltiner une tête brûlée comme la mienne. Même si je suis le plus heureux des hommes que tu l'aies fait. Desfois j'y pense tu sais, à rentrer définitivement, à travailler avec mon père dans l'immobilier, à arrêter de vivre en équilibre sur un fil. On irait en Italie toi et moi et on y resterait. Dans la maison de mon enfance. On pourrait se dorer la pilule sous le soleil pour toujours et élever nos dix gosses comme on le voudra. Loin du tumulte de la grande ville, des idiots qui jugent. Même si ça veut dire, loin de la patrie que j'aime et que je sers corps et âme. A vrai dire, Miami me connait pas vraiment quand j'y pense. Je revenais moins avant. Avant toi, tout simplement. Heureusement que je t'ai, sinon je deviendrais un peu cinglé ( du moins plus que je le suis maintenant). Je sais pas comment l'expliquer mais ce retour là est plus difficile que les autres. Mais tu me remplis d'une certitude sans limite. Et je suis certain que tout ira mieux bientôt. Je compte les jours en attendant de te voir. De sentir ta peau, et l'odeur de tes cheveux. Je t'aime très fort et pitié, ne part pas sans moi. Parce que je pense pas pouvoir continuer ma vie sans toi à mes côtés.


Je t'aime, je t'aime.

Lorenz.

Jimmy,

Désolé de pas avoir répondu à ta lettre, je me suis fait violence pour tenter de me détacher mais rien n'y fait. J'ai l'impression d'être deux personnes à la fois, qui change d'avis à tout bout de champs. Parce que je sais que j'aime profondément celle qui m'attend à la maison. Mais je fais rien de mal en t'écrivant, si ? Je suis content que tu aies pu accéder à ce que tu voulais et je suis fier de toi. Et oui, je m'imagine très bien la scène, je te connais trop. Je suis désolé de pas avoir pu te soutenir en ce qui concerne ta mère, j'espère que tout va mieux. Parce que c'est ce qui me caractérise, ici coupé du monde, espérer que tout aille bien.
Je vais revenir. A Miami. Pour un temps avant de partir définitivement en Italie et fonder ma famille. Du moins, c'est ce que j'ai prévu dans ma tête. Et je sais que c'est pas bien, que c'est d'un égoïsme exacerbé de te demander ça mais, j'aimerais bien te revoir. Juste une fois avant de se dire adieu pour de bon et qu'on fasse chacun notre vie de notre côté. Tu dois te demander ce qui me précipite. La raison c'est que le terrain c'est plus pour moi, j'ai perdu mon coéquipier favori, je suis plus efficace à la place à la place des grands chefs qu'on traitait de con à l'époque. Ironique, hein ? Je peux travailler à l'ambassade américaine en Italie, je voudrais juste changer d'air. En réalité, je peux jamais vraiment te résister et j'aime ma copine plus que tout, c'est sincère, alors peut-être qu'un océan et un continent différent me permettra de pas tout gâcher.

Si je te manque, sache que de mon côté c'est au centuple.

Lorenz.

*

Ça vrille sous le bruit assourdissant des hélices. Il fixe le vide, en dessous de lui. Il pourrait presque en pleurer, c’est la dernière fois qu’il revient. Puisqu’il ne partira plus. Sa décision est prise, il se retire, ça fait souffrir tout le monde. Colonel De Luca sur le terrain, combattant d’élite. Aujourd’hui, il va simplement servir de loin, responsable logistique et formateur des envieux qui veulent apprendre ce que c’est d’être un soldat. Pendant un temps, il espère pouvoir recevoir un retour positif de l’ambassade italienne. Il détache pas ses yeux du vide quand il se rapproche, l’immense machine épousant le béton avec bruit. Le cœur qui se serre, la gorge nouée, il a peur de tout soudain, plus que pendant n’importe quelle guerre. N’importe quelle mission. Il se baisse et sort sur le tarmac. Il a son sac à dos kaki sur le dos, des fringues de militaire propres pour une fois. Rempli d’angoisses, d’agonie en partant définitivement. Il le vit mal, trop mal. Soudain, il la voit et ça s’envole un peu. Elle court à sa rencontre et il l’accueille dans ses bras après avoir laissé tomber son sac par terre. Il manque de tomber après le choc. Il la lâche pas, la tête enfouie dans son cou. Son parfum fait s’évaporer tous les doutes et il la serre plus que de raison. Il la laisse se détacher et il la couvre de baisers, les deux mains entourant son visage. A ce moment précis, il sait qu’il a fait le bon choix. Parce qu'il l'aime trop. Thaïs.